Leman Yilmaz, Festivalleiterin des 26. Istanbuler Theaterfestivals spricht mitden gemeinsam versammelten EURODRAM- und FENCE-Mitgliedern

Assemblée Générale EURODRAM Istanbul 19- 22 mai 2016

©Foto: Adi Kuneva, Sofia. Leman Yildaz, directrice du 26e Festival de théâtre d’Istanbul parle aux membres réunis d’EURODRAM et de FENCE.Flag_of_Germany.svg

Compte-rendu de Gilles Boulan, Coordinateur du comité francophone

Lundi 23 mai, onze heures. Après deux journées plus frileuses marquées par un ciel maussade et par les fermetures des boutiques du dimanche, la vie stambouliote retrouve soudain ses droits avec le soleil de retour et la circulation intense rend périlleuse l’idée même de traverser le boulevard. L’animation de la rue et la contemplation de la mosquée de Sisli occupent les dernières minutes de mon séjour à Istanbul. Tandis que mon thé refroidit sur une terrasse voisine de l´Hôtel Bade où je viens de rendre la clef de ma chambre, je couche ces dernières notes dans mon carnet de voyage avant de rejoindre Dominique et Clara pour nous rendre à l’aéroport.

Cette chronique compte-rendu qui commence par ces lignes est un journal aléatoire nourri des impressions diverses, des réflexions confuses et des informations éparses, plus ou moins vérifiées, glanées au cours de mon séjour. Et je ne prétends pas les organiser davantage en un récit fidèle, chronologique et objectif mais bien les laisser flotter en une collection de vignettes plus ou moins signifiantes en abusant de ce débraillé qui sied si bien à mon humeur en cette matinée où les valises sont bouclées et où les souvenirs ne sont pas encore classés. Donc nous voici sur le départ et quelle transition plus heureuse pour évoquer notre arrivée.

 Un souvenir personnel associait le hall d’arrivée de l’aéroport Atatürk à une foule compacte et bruyante venue accueillir des parents émigrés de retour au pays à l’occasion des fêtes de Noël. Rien de tout ça aujourd’hui. L’endroit est agréable, dégagé et spacieux. On y circule sans difficulté et de nombreux robots permettent aux voyageurs d’envisager leurs opérations de change. Premières images d’une cité moderne dont dès le premier regard,  il semble délicat  de dresser le portrait entre les lieux communs orientalistes d’une autre époque et les inévitables fantasmes entretenus par les informations récentes. Comment prétendre saisir une quelconque vérité en un si bref séjour ? Ni sucre glace pour les loukoums ni tentures noires d’un khalifat qui se donnerait ici des allures peu crédibles de démocratie, le visage d’un pays ne se dévoile jamais avec facilité. A peine s’il se laisse deviner. Comme une danseuse orientale qui conserverait son tchador. Et Istanbul est Istanbul et n’est pas la Turquie.

 Pour rejoindre la ville, on traverse en métro les vastes chantiers en cours ou depuis peu achevés et les nouveaux quartiers qui ont depuis quelques années grignoté les campagnes entre l’aéroport et le centre de la ville. Aux fenêtres des immeubles ou suspendus le long des façades des bâtiments en construction flotte en très grand nombre le drapeau rouge de la Turquie. Les autobus et les toitures en sont également pavanés. Et il devient inévitable de se poser la question dont la réponse viendra plus tard. Nous sommes aujourd’hui le 19 mai, jour de fête nationale. Explication logique ! Mais les drapeaux ne disparaîtront pas pour autant le lendemain, otages d’un nationalisme dont s’est emparé le pouvoir au grand dam de ceux qui y voient le symbole de la Turquie moderne voulue par Mustapha Kemal.

C’est à ce moment-là… Le métro qui s’est engouffré sous les collines débouche à nouveau à l’air libre et s’élance sur une passerelle ferroviaire voisine du pont de Galata pour traverser la Corne d’or. Oui, c’est à ce moment-là que la ville mythique nous apparait dans toute la magie de ses célèbres vieilles mosquées, de la tour de Galata et du trafic sur le Bosphore. Alors, avant de replonger dans les profondeurs de la terre, le temps d’un court arrêt à la station d’Haliç… Alors oui, on se sent vraiment arrivés à Istanbul.

Dans le hall de l’hôtel Bade, au décor pour le moins sombre et imposant, un petit groupe d’une vingtaine de personnes se prépare à sortir. A pousser l’énorme porte à tambour pour aller avaler dans le café voisin une rapide collation avant de se rendre au théâtre. Un peu sonnés par le voyage, il nous faut un instant avant d’identifier nos amis. Heureux de se revoir, de se retrouver après un an de séparation et de nombreux échanges de mails. Hakan, notre hôte, toujours souriant en dépit de la charge importante que lui impose notre accueil, Zohar presque méconnaissable avec sa moustache d’aviateur, Andréas l’Athénien égal à sa jovialité, Ulrike plongée dans une discussion avec Jonathan, Neda à la lumineuse blondeur ukrainienne, Jeton toujours un peu farceur malgré sa nonchalance kosovare… J’en oublie. Forcément ! Il y a aussi quelques nouvelles têtes qui nous deviendront familières dans les heures à venir. Et de nombreux membres du Fence que nous croiserons au fur et à mesure.

Le Büyükdere prolonge le Halaskargazi cadessi, une des artères les plus importantes et les plus commerciales de la ville. Le trajet nécessite une dizaine de minutes de marche pour se rendre à l’Hôtel Marmara Sisli où deux salles de conférence ont été réservées pour les réunions des deux groupes.  Cette petite  ballade matinale permet de découvrir, entre autres, un ancien cimetière grec caché derrière ses hauts murs et son porche barricadé, un institut psychiatrique français et le centre culturel de Sisli Mediciyeköi. Nonobstant le soleil de cette matinée et l’affichage en turc, la ville évoque n’importe quelle grande cité moderne avec ses hauts immeubles vitrés, ses boutiques à la mode, son trafic, ses terrasses de bar… Les femmes se promènent en cheveux comme disaient nos grands-pères et les foulards sont plutôt rares dans cette partie de la ville. Les minarets se planquent derrière les façades des buildings qui les écrasent de leur hauteur et les nombreux taxis sont aussi jaunes que ceux de New York. Mais dans une petite rue voisine, un marchand d’ail se proméne avec sa voiture à cheval et des porteurs déplacent des charges volumineuses sur des petits chariots à bras.

Au sous-sol de l’hôtel Marmara, une machine à café et quelques comestibles attendent les deux groupes avant leur séparation. Eurodram s’est vu attribuée la salle nommée Bluetooth pour un premier état des lieux concernant le fonctionnement des comités (recrutement, difficultés, perspectives et autres questions…). Un peu plus d’une vingtaine de représentants siègent autour des  tables organisées en U et treize comités sont présents, un nombre jamais atteint. Les membres du comité allemand sont de loin les plus nombreux autour d’Ulrike avec Wolfgang, Henning, Nicole… Mais la représentation bulgare n’est pas loin d’être aussi nombreuse autour de Gergana. Zohar est venu avec Lilach afin de représenter le comité hébreu. Maria est accompagnée de Carolina pour le comité portugais, Frédéric et Pino représentent le comité italien en l’absence de Stéphane, son coordinateur. Deux autres nouveaux comités sont également présents,  représentés par Anna (comité hongrois) qui s’est fendue d’un powerpoint et par Amine (comité arabe), syrien d’origine et vivant à Paris. Et puis autour de cette longue cène de la traduction théâtrale, on retrouve évidemment les habitués de ces rencontres: Hakan (comité turc), Andréas (comité grec), Jeton (comité albanais), Neda (comité ukrainien), Dominique et Clara pour la coordination générale et la Maison d’Europe et d’Orient.

 Peu de temps pour déjeuner entre deux sessions de travail. Vu leur nombre important, auteurs, traducteurs, coordinateurs se répartissent entre plusieurs établissements voisins de l’hôtel Marmara. Terrasse couverte, soleil généreux et libre choix de son déjeuner derrière une vitrine de cuisine. Je jette mon dévolu sur un gratin d’épinards au fromage et une poêlée de foie d’origine arménienne, accompagnée de sauce au yaourt. Délicieux. Le dépaysement se niche souvent dans nos assiettes.

L’après midi est consacrée à la présentation des textes sélectionnés par les treize comités. Exercice anglophone à haut risque en ce qui me concerne, avec traduction simultanée en turc effectuée par Hakan. En effet, la séance est ouverte au public et quelques personnes intéressées parmi les acteurs du théâtre local se sont déplacées pour nous entendre. En dépit des douze minutes attribuées à chacun des intervenants, cette longue présentation de près de quarante pièces paraît interminable et assez épuisante malgré la volonté de concision exprimée par certains et les rappels à l’ordre répétés de Dominique. Le tout très ralenti par une chaleur étouffante et par les lenteurs digestives. Néanmoins, Hakan tiendra le choc de ce marathon interprétarial. Qu’en sera-t-il exactement du public ? Difficile de le savoir.

Avant le rendez-vous fixé pour nous rendre au spectacle, on se dégourdit un peu les jambes en compagnie de Wolfgang et d’Amine sur le Halaskargazi. Sans but, comme on se promènerait sur les Champs Elysées. Quand un petit bonhomme interrompt le discours d’Amine en lui tapant amicalement sur l’épaule. Il se retourne un peu surpris et reconnaît un de ses anciens voisins de Damas lorsqu’il vivait encore en Syrie. Les deux hommes s’embrassent, émus par ces retrouvailles totalement improbables mais que l’actualité de la situation syrienne rend à la fois plus explicable et plus chargée d’émotion.

Au fond de la galerie marchande d’un quartier résidentiel, un ancien cinéma reconverti en théâtre accueille La rébellion des chiens de Oyun Salonu, programmé dans le cadre de la vingtième édition de l’Istanbul Tiyatro Festivali. Dans le foyer, une fille aux cheveux bleus se tient derrière le bar et un public composé essentiellement de jeunes gens occupe bruyamment les chauffeuses. Conversations animées et ambiance underground curieusement enfumée alors même que personne ne fume. C’est le soir de la générale et la plupart des spectateurs sont des amis des comédiens. Sur les marches de l’escalier qui descend vers la salle, un jeune homme pointe les invités sur sa liste. Les invités étrangers que nous sommes échappent à cette obligation avant de retrouver leur siège nominalement identifié par une étiquette sur le dossier.

La pièce, un drame moderne opposant un couple bourgeois à ses deux employés est, bien sûr, jouée en turc avec surtitrage en anglais. Le débit est rapide et les surtitres galopent sur l’écran haut placé qu’on quitte à peine des yeux, au risque d’un torticolis. Malgré quelques incompréhensions et des questions non résolues, l’intrigue se laisse appréhender plus ou moins aisément. Les quatre comédiens défendent le spectacle avec un réel engagement et le ballet des portiques qui transforment à vue la scénographie en multipliant les lieux de l’action est assez fascinant. L’audace mesurée de plusieurs scènes déshabillées et une rage contestatrice inscrite dans le titre comme dans le propos de ce quartet, plaident pour une modernité que le public acclame avec des applaudissements nourris.

De retour à l’hôtel après la représentation, un autre spectacle nous attend : celui de la pleine lune flirtant avec le sommet d’un gratte-ciel et de la nuit stambouliote où le vol silencieux des mouettes inscrit sa chorégraphie de silhouettes blanches.

Samedi matin. La salle Infrared de l’Hôtel Marmara est remplie comme un œuf et on ajoute des chaises. Eurodram et le Fence sont enfin rassemblés pour une session commune consacrée au festival d’Istanbul et au théâtre turc actuel. Occasion d’une rencontre avec la directrice du festival et avec quelques auteurs et metteurs en scène turcs.  L’échange est précédé par un tour de table exhaustif qui prend un certain temps vu le nombre des participants venus d’horizons très divers depuis l’Ecosse jusqu’à la République Tchèque, des Pays baltes jusqu’en Palestine en passant par les Etas Unis.  Beaucoup de visages déjà croisés mais encore anonymes auxquels il est très agréable de pouvoir enfin attribuer un nom. Une belle décontraction d’ensemble en dépit du caractère assez formel et lapidaire de l’exercice. Au terme de la réunion, on aura appris beaucoup de choses sur l’histoire très récente du théâtre turc moderne, sur l’importance des sponsors dans le financement du festival (jusqu’à une compagnie de gaz qui met la main au portefeuille) sur le nouveau héros islamique chouchouté par les autorités à l’opposition des figures héroïque de la République turque…

Au cours de la séance, quatre auteurs turcs prendront la parole. Tüncer Cucenoglu avec sa voix posée et l’autorité de ses cheveux blancs.  Mirza Metin, barbe noire en bataille et auteur de langue kurde. Hasan Erkek, élégant universitaire lettré et parfaitement francophone. Et bien sûr, notre ami Hakan à nouveau cantonné au rôle d’interprète.

Après le déjeuner sur les mêmes terrasses que la veille, l’après-midi est consacrée à l’exposé de Clara sur les modalités d’un financement européen et les critères à respecter.  Un projet défendu avec une très belle énergie, détaillé jusque dans les points forts (diversité culturelle, mixité entre institutions publiques et structures indépendantes…) et les lacunes actuelles du réseau Eurodram. Lequel devra œuvrer pour une meilleure visibilité sur les réseaux sociaux, pour élargir son audience et son public, s’adjoindre des partenaires et définir des projets propres à chaque comité.

Temps gris et assez frais en cette soirée de samedi. Quelques discrètes gouttes de pluie commencent à s’écraser sur le ponton d’embarquement. A l’embarcadère de Kabalash, nous attendons le ferry pour traverser le Bosphore et assister à un spectacle  au centre culturel de Caddebostan. La ville s’étend sur les deux rives avec une même vitalité. Et sur les collines au loin, les hautes antennes téléphoniques se dressent comme des minarets électriques. On est ici en centre-ville malgré la largeur du détroit mais la mer est présente, gris-vert, et des cormorans intrépides plongent au milieu des bateaux. Un des membres de Fence raconte que la veille en se rendant à un spectacle, il a vu des dauphins jouer autour du ferry. Allez savoir pourquoi, on pense aux Argonautes  remontant le bras de mer pour rejoindre la Mer noire en quête de la toison d’or.

Le théâtre se trouve au quatrième étage d’une imposante bâtisse de verre qui réunit aussi des salles d’activités, des galeries d’exposition et un complexe multisalle avec ses comptoirs de popcorn. Une salle de mille places au quatrième étage ! Et ce n’est pas le seul théâtre. Contrairement au spectacle de la veille, cette générale des Trois sœurs dans une version minimaliste est loin d’avoir fait le plein des amis et nous sommes une trentaine d’invités à occuper le parterre. L’adaptation s’est limitée aux seuls rôles titres d’Olga, de Macha et d’Irina, prisonnières d’une sorte d’aquarium sanitaire dont elles tentent de se libérer.  La mise en scène très moderniste du macédonien Aleksandar Popovski ne sert pas forcément le propos de Tchekhov même si à la lecture de ses surtitres en anglais, tous ses mots nous parviennent avec leur musique mélancolique. Malgré la belle énergie des actrices, il faut bien reconnaître que l’on s’ennuie un peu.

Le retour à l’hôtel emprunte un autre ferry, le dernier de la soirée sur lequel on embarque au prix d’une petite course à pied.  Le trajet maritime en direction d’Eminönü longe la côte et ses monuments éclairés. Vision magique, irremplaçable qu’aucune photographie ne pourra jamais saisir dans toute sa splendeur. Une petite pluie s’écrase sur le pont de Galata où l’animation des terrasses est loin de s’être calmée en dépit de la fraîcheur. Le charme de cette promenade nocturne comme une sorte d’escapade touristique dans des images de cartes postales, justifie amplement d’avoir supporté ces trois sœurs et leurs tristes états d’âme.

Dimanche matin. Une dernière réunion plus ou moins informelle et destinée à se dire au revoir et à dresser le bilan de ces journées très denses nous occupe une partie de la matinée. C’est aussi l’occasion d’avaler un café en compagnie de Jeton, de prendre son petit-déjeuner avec Andréas et une auteure anglaise qui avoue que son français est moins assuré que mon anglais. Ce qui me rassure un peu, même je n’en suis pas fier.

Quartier libre pour cette après midi dominicale consacrée à la visite des inévitables curiosités touristiques en compagnie de Clara et de Dominique avec Hassan Erkek pour guide. Hagia Sophia  en premier lieu où nous attend la bonne surprise d’entrer sans avoir besoin de faire la queue, conséquence prévisible des attentats de ces derniers mois et de la baisse de la fréquentation touristique. La mosquée bleue, beaucoup plus fréquentée en ce dimanche après-midi et où les femmes sont invitées à porter des foulards et d’informes jupes longues bleues distribués à l’entrée. Et la citerne Yerebatan, vaste basilique souterraine où règne un reposant silence. Le silence de ces carpes qui glissent dans l’obscurité entre ses colonnades et le silence des Méduses de pierre qui veillent à jamais sur les anciennes réserves en eau de l’antique Constantinople. Puis le grand bazar pour quelques emplettes et le plaisir de la flânerie.

Dernier repas du soir au restaurant Mangiamo, cantine vespérale officielle de cette rencontre Eurodram-Fence. A la télévision, un match de foot oppose l’équipe de Turquie à celle de l’Angleterre.  Il y a là quelques anglais autour de Jonathan et plusieurs turcs évidemment. La Turquie est en train de perdre et même si Hakan souligne qu’il s’agit d’un match important, personne ne s’en inquiète vraiment. L’intérêt est ailleurs. Ce qui est en train de se construire, rencontre après rencontre: ce réseau Eurodram qui ne cesse de s’élargir et dont cette troisième assemblée générale aux portes de l’Europe et l’Orient a une valeur très symbolique.

Dernière matinée, dernière petite promenade avant de rendre ma clé. Pas un pingouin en vue sur la célèbre place Taksim ! En revanche beaucoup de policiers et de nombreuses grosses berlines noires aux vitres teintées. La place est entièrement bouclée en raison d’un sommet mondial. Impossible d’y accéder sans le badge officiel. Lequel pend sur le torse de messieurs bien coiffés et de jeunes dames en tailleur, tous fiers de leur allure. Tandis que sur le trottoir veillent des policiers en civil qui ressemblent à s’y méprendre à des chauffeurs de maître.

Et me revoici sur cette terrasse en face de la mosquée de Sisli en train de griffonner les dernières notes de cette chronique tandis que le soleil revient et que mon thé refroidit.

Gilles Boulan